L’histoire du saccage de notre souveraineté énergétique, que dit le rapport d’enquête parlementaire ?
L’Assemblée Nationale, devant l’importance de la crise énergétique prise en 2022 a décidé de lancer une enquête parlementaire qui a démarré fin 2002 et s’est conclue par l’audition de deux anciens présidents de la République le 16 mars dernier. Cette crise majeure que nous affrontons, n’est pas liée aux événements géopolitiques de l’année 2022, c’est-à-dire la guerre en Ukraine, même s’ils en ont été les révélateurs accélérés.
Cette commission d’enquête parlementaire présidée par Raphaël Schellemberger (LR) avec le support du rapporteur Antoine Armand (LREM) a essayé de répondre à cette question, pourquoi l’état a-t-il été contraint de demander aux entreprises et à la population de faire un effort d’économies d’énergie comme jamais depuis la fin de la seconde guerre mondiale, sous peine de risques de coupures d’alimentation électrique. Pardon, pour adoucir la réalité on ne parle pas de crise énergétique mais de « sobriété » énergétique ou comment transformer une crise imposée par des décisions politiques en un comportement vertueux qui a également le mérite de permettre un transfert de responsabilité des politiques vers les entreprises et le grand public. Comme écrit dans ce rapport « Regrettons ici que, pour la première fois depuis quarante-trois ans, la France ait été, cet hiver, importatrice nette d’électricité. »
Avant d’entrer dans le vif de sujet, la commission s’est penché sur la question de souveraineté ou d’indépendance. Si ces deux notions sont proches, une vraie indépendance sur l’énergie compte tenu de nos disponibilités en ressources primaires (matières premières et énergie fossile) l’indépendance totale reste un mirage. Cependant être souverain dans nos choix, oui c’est une absolue nécessité.
Le constat majeur de cette commission, est qu’une errance politique et un manque de vision stratégique totale nous ont amenés à cette situation, comme il est écrit dans le rapport « Cette histoire est celle de choix politiques et de débats de société tronqués. C’est la volonté d’imposer une opinion, sans en partager ou même en mesurer les conséquences. Cette histoire est celle de l’endormissement d’une nation qui a oublié de penser sa puissance et son rôle mondial, se recroquevillant sur son marché intérieur et des stratégies électorales, oubliant l’intérêt et l’ambition nationaux. ». On est en droit de se demander si la défense des intérêts nationaux et l’intérêt commun font encore partie de notre République…
En plus des assauts idéologiques internes, notamment par le mouvement politique « Les Verts », puis « EELV », notre pays a eu à faire face à une influence étrangère que nombre de nos personnels politiques, aveuglés par la notion (à sens unique) de couple Franco-Allemand n’ont pas voulu combattre, et ce même parmi les plus pro-nucléaires. Pour mémoire ce passage du rapport qui me paraît édifiant « Il est ainsi regrettable de constater qu’un partenaire européen ayant fait des choix différents en matière de politique énergétique se soit permis d’interférer dans notre politique énergétique par l’intermédiaire de ses représentants. Car, en emmenant son pays sur la voie de la sortie du nucléaire, l’Allemagne a aussi demandé à de nombreuses reprises l’arrêt des réacteurs français de Fessenheim et de Cattenom, ainsi que l’exclusion ferme du nucléaire du Plan européen « Net zero industry act », empêchant ainsi toute une filière industrielle de pouvoir bénéficier des dispositifs coordonnés de financement européen. »
Cependant, la filière du nucléaire n’a pas eu à subir seule les avanies de l’errance stratégique énergétique de nos dirigeants. En effet, la période 2012 à 2017 a été particulièrement symptomatique d’une insouciance énergétique, qui de la fermeture de 10 gigawatt de production d’électricité fossile (fuel et charbon), qui de la diminution globale de notre production électrique : la France consommera moins d’électricité, mais nous voulions en même temps électrifier nos modes de locomotion individuels, qui de la décision de fermer Fessenheim, etc.
Le dernier président en place n’est pas à l’abri de critiques bien méritées sur une politique énergétique à géométrie variable en fonction des circonstances, du fait de son absence de vision stratégique, un trait récurrent de la technocratie à la française.
Au cours des diverses auditions menées, la commission en est venue à s’interroger sur les relations entre Ministres et conseillers. L’information technique et scientifique était-elle bien assimilée, lue, comprise par les conseillers ? Leur devoir d’information de leur ministre était-il mené correctement ? Cela fait apparaître clairement un problème de méconnaissance des sujets scientifiques et techniques, comprenant la construction d’un avis scientifique, qui pose un vrai problème quant à la prise de décisions éclairées de la par de nos responsables politiques.
Un autre point saillant ce cet épisode d’errement politique quant à notre politique énergétique et plus particulièrement sur la filière du nucléaire a été l’abandon des recherches sur la fermeture du cycle, un premier épisode illustré par l’arrêt de Super-phénix, suivi plus récemment du projet Astrid. Les conséquences sont doubles. D’une part l’arrêt de ces programmes impliquant l’abandon de la recherche, nous avons pris un retard abyssal sur ces sujets. D’autre part, par idéologie, on refuse la possibilité de résoudre toute en partie la question des « déchets » nucléaires actuels d’une part. Et d’autre part la possibilité d’une autonomie énergétique de plusieurs centaines d’années à plusieurs millénaires, par l’utilisation de ces déchets… Mais au diable la science !
Il faut bien comprendre une chose, notre société moderne s’est bâtie sur notre capacité à obtenir de l’énergie abondante à moindre coût. L’énergie est la sève qui innerve notre tissu économique. Ne pas avoir entretenu cet actif majeur légué par nos prédécesseurs, explique en partie le déclin de notre économie. La destruction de notre capacités de production électrique, plus les problèmes de maintenance font que seulement 279 TWh ont été produits en 2022 par le parc nucléaire, soit 30 % de moins que la moyenne des 20 dernières années ( Reporterre – 16 février 23), pareil pour l’hydraulique ,au plus bas depuis 1976 : 49,6 TWh produit contre 61,6TWh en moyenne sur la période 2014-2019. Or, moins d’énergie, de plus une énergie plus chère sont des handicaps lourds pour nos TPE/PME et nombre de nos artisans, fragilisant encore plus un tissu économique déjà mal en point. Il ne peut y avoir de croissance économique sans un accès maîtrisé à de l’énergie abondante et à un coût maîtrisé. D’exportateur, nous sommes devenus importateurs, une nouvelle façon de creuser notre déficit commercial.
L’autre enseignement, c’est que le marché européen de l’électricité a joué en notre défaveur au travers de la taxonomie européenne sous les assauts de l’Allemagne, qui ne souhaitaient pas voir la France bénéficier d’un avantage compétitif indéniable, mais aussi au travers la loi Nome et du dispositif ARENH, du statut des concessions hydroélectriques et des règles d’échanges de l’électricité…La privatisation, le démantèlement du géant de l’électricité qu’était EDF, ne pas vouloir flécher les investissements dans le nucléaire comme « vert » (taxonomie), obliger à ce que le tarif de l’électricité soit au coût de revient de la dernière centrale gaz, sont autant d’exemples emblématiques. Et sur l’ensemble de ces dossiers l’Allemagne à jouer sa partition de guerre économique contre l’avantage compétitif détenu par la France, son coût de production d’électricité bas, grâce au nucléaire !
Quels ont été les enseignements majeurs de la commission d’enquête. L’importance de se réinscrire dans le temps long et de mettre en place une politique énergétique pour le bien commun. Il est urgent de reprendre un effort de recherche important, sur le nucléaire, mais sur l’ensemble des sources d’énergies ; afin de retrouver des capacités d’innovation, et de reconquérir une autonomie perdue. Les champs de cette recherche sont nombreux et variés, citons bien entendu le nucléaire et la fermeture du cycle, la fusion nucléaire, mais aussi les énergies hydraulique et marémotrice, de nouvelles technologies solaires ou encore l’éolien. Il ne faut pas non plus négliger les autres sources d’énergies non-électriques comme la géothermie, ou la méthanisation par exemple. La maîtrise de ces avancées technologiques nous permettra de recouvrer notre autonomie perdue dans des domaines comme le solaire laissé à l’heure actuel au chinois, mais aussi dans l’éolien où les acteurs français ont quasiment disparu…
Pour que cela puisse se faire, il faut aussi s’assurer d’un niveau d’acculturation minimum de nos hauts-fonctionnaires et personnels politiques aux questions scientifiques, sinon, il sera illusoire de les voir prendre des décisions politiquement éclairées.
La piste de la création d’une responsabilité personnelle pour les ministres qui ne réuniraient pas les organes de conseil scientifique créés par la loi, paraît intéressante. Les auditions ont montré des manquements pour le moins problématiques de suivi des organes consultatifs créés par la loi, qui n’étaient pas réunis à la fréquence prévue par la loi.
Après ces quelques orientations liminaires, le rapport liste les propositions suivantes :
Proposition 1 : en cohérence avec nos objectifs climatiques et industriels, assumer un besoin croissant d’électricité, pour la fin de la décennie, à l’horizon 2050 et au-delà, et constater le fossé de production qui nous sépare de la souveraineté énergétique.
Proposition 2 : se donner une loi de programmation énergie climat sur 30 ans avec des objectifs climatiques, énergétiques et industriels ainsi que les moyens afférents, qui fera l’objet d’un suivi étroit et régulier par le Parlement et les institutions expertes.
Proposition 3 : renforcer la consultation du Parlement, et notamment de l’OPECST, sur les politiques énergétiques et le contrôle qu’ils exercent sur la mise en œuvre de celles-ci.
Proposition 4 : remettre la direction générale de l’énergie au sein du ministère en charge de l’industrie et la doter des moyens permettant d’identifier, de suivre et de réduire nos vulnérabilités industrielles.
Proposition 5 : demander à RTE de faire évoluer à court terme son critère de sécurité d’approvisionnement, et lancer une refonte de notre doctrine de sécurité d’approvisionnement globale sous sa responsabilité
Proposition 6 : arrêter une position européenne commune et durable, pour définir l’énergie nucléaire comme une énergie décarbonée et stratégique, qu’il convient de soutenir au même titre que les énergies renouvelables
Proposition 7 : lier la réforme du marché de l’électricité aux négociations sur la politique énergétique globale de l’UE en portant une réforme profonde du marché de l’électricité européen pour protéger la spécificité française, décorréler le prix du gaz de celui de l’électricité décarbonée ; dans l’attente, suspendre sans délai et compenser l’ARENH
Proposition 8 : dans le prolongement de la récente annonce de la ministre de la Transition énergétique, exiger le respect du traité de Lisbonne et donner un nouvel élan au traité Euratom.
Proposition 9 : maintenir les concessions hydroélectriques dans le domaine public, par exemple en leur appliquant un dispositif de quasi-régie pour éviter toute mise en concurrence et relancer les investissements nécessaires.
Proposition 10 : pérenniser et accroître l’ambition du plan de sobriété de l’hiver 2022-2023, et l’étendre à l’ensemble des particuliers, des services publics, et des entreprises sans méconnaître le coût financier et industriel des effacements
Proposition 11 : renforcer les efforts de décarbonation de tous les secteurs émetteurs, en particulier dans le transport avec l’accélération des projets de transports en commun et de fret ferroviaire et avec la réduction du poids des véhicules par des dispositifs incitatifs
Proposition 12 : évaluer les dispositifs de rénovation énergétique pour prioriser les plus efficaces, se donner des objectifs de baisse de consommation mesurables et les décliner par département ; lancer un plan de filière pour développer les formations.
Proposition 13 : réviser nos objectifs de chaleur renouvelable, qui selon plusieurs instituts pourraient être au moins doublés à horizon 2030, et renforcer le Fonds Chaleur associé
Proposition 14 : lancer un nouvel inventaire minier sur le sol français, accélérer l’identification des importations critiques et la création de filières de transformation et de recyclage des terres rares
Proposition 15 : approfondir la prévision des besoins d’investissements sur le réseau, en particulier dans le cas de la trajectoire réindustrialisation forte
Proposition 16 : sur tous les grands défis de court terme (corrosion sous contrainte, fatigue thermique) comme de moyen terme (impact du dérèglement climatique), demander à EDF de produire et de présenter au Gouvernement, à l’OPECST et au grand public, un état des lieux précis et prospectif des mesures prises pour assurer le fonctionnement du parc nucléaire, des barrages et de toutes les installations énergétiques
Proposition 17 : mener les études préliminaires nécessaire à la prolongation de tous les réacteurs qui peuvent l’être selon différents scénarios, et anticiper dès aujourd’hui et dans le cadre de la LPEC les besoins, impacts et conséquences de la fermeture et du démantèlement du parc existant, quelle que soit la date d’arrêt effective des réacteurs
Proposition 18 : augmenter autant que nécessaire les moyens dévolus à la délégation au nouveau nucléaire dans le suivi du projet de construction de nouveaux EPR et obtenir des rapports de suivi réguliers et publics sur l’avancement du projet ; conforter EDF comme opérateur unique et nationalisé.
Proposition 19 : anticiper le besoin de renouvellement et de développement de l’ensemble du parc existant, en nombre de réacteurs (y compris SMR) ou en puissance installée, dans les prochaines décennies et sur des sites existants ou nouveaux
Proposition 20 : demander à EDF une plus grande transparence sur ses approvisionnements en uranium naturel et enrichi, au moins à une maille géographique par pays
Proposition 21 : soutenir le renforcement des capacités d’enrichissement sur le territoire français
Proposition 22 : étudier la faisabilité industrielle et les options économiques pour installer à court terme une nouvelle usine de réenrichissement sur le sol français
Proposition 23 : apporter tout le soutien financier et administratif nécessaire à l’extension des capacités d’entreposage du combustible usé à La Hague
Proposition 24 : valider les dernières étapes et assurer le soutien de l’État au financement du réacteur Jules Horowitz tout en maîtrisant les délais et les coûts
Proposition 25 : relancer la construction d’un démonstrateur de type ASTRID, d’une puissance potentiellement plus modeste, pour rattraper le retard accumulé pendant 30 ans, et continuer à développer la recherche associée sur le cycle du combustible.
Proposition 26 : accentuer le soutien aux technologies liées à la 4ème génération nucléaire, en privilégiant les entreprises qui sont en mesure de présenter des résultats expérimentaux et/ou industriels, et non seulement des simulations numériques
Proposition 27 : assurer une montée en puissance des effectifs salariés de la sûreté nucléaire, en optimisant l’organisation administrative et en interrogeant les rapports existants à ce jour entre les différents organismes de sûreté nucléaire, afin d’assumer la charge nouvelle liée à la relance du nucléaire.
Proposition 28 : demander à RTE une analyse approfondie, déclinée par énergie renouvelable, intégrant leur potentiel, leurs rentabilités énergétique et économique (calculs de moyenne, d’intermittence minimisée, d’acceptabilité, de consommation du foncier, de longévité)
Proposition 29 : lancer dès que possible les appels d’offre pour les 50 parcs éoliens offshore, rendre contraignante leur installation et sécuriser le financement et l’engagement du porteur de projet
Proposition 30 : créer un label « apprentis de l’énergie » pour permettre aux jeunes d’identifier les formations d’avenir, associées à des aides financières, des facilités de mobilité et de logement.
Pour le détail de chacune de ces propositions, je vous renvoie au rapport, qui est très accessible, chose plutôt rare dans ce type d’exercice.
En conclusion, un travail d’enquête parlementaire fouillé et sans concession a mis en lumière un bilan catastrophique de la gestion de notre stratégie énergétique, par nos technocrates administratifs et politiques, autoproclamés du camp de la raison et des partis de gouvernement…
La commission ne s’arrête pas au seul constat et propose un chemin pragmatique afin de sortir de cette situation catastrophique dans laquelle se trouve notre pays. Elle propose une véritable vision stratégique sur le temps long. Il reste cependant une question, sur notamment comment doit-on considérer la production d’électricité en France ? Est-ce un marché comme les autres, beaucoup de connaisseurs du secteur (Loïk Le Floch Prigent – 16 décembre 2022) pense qu’il n’en est rien, et qu’il s’agit d’une responsabilité régalienne qui doit être fournie par une entreprise publique, sur un marché non-soumis à une fausse concurrence, où seuls des traders de l’électricité prospèrent. En tous les cas le constat est posé, des pistes sont tracées, mais aura-t-on un gouvernement et un président de la République qui décideront enfin de sortir de la communication, pour passer à l’action pour contribuer au bien du pays au-delà de leur mandat, rien n’est moins sûr !