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Les Rendez-vous du Numérique : Interview exceptionnelle de Yann Lechelle, CEO de Scaleway

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Source: Effisyn SDS

Interview de Yann Lechelle, Directeur Général de Scaleway l’un des acteurs majeurs du cloud français.

 

[Emmanuel M] : Bonjour Yann, et je vous remercie d’avoir bien voulu m’accorder ce bref entretien. Pour planter le décor pourriez-vous nous présenter Scaleway en quelques traits saillants, avant d’aborder le cœur du sujet ?

[Yann Lechelle] : Merci pour l’opportunité de cet échange. Scaleway est un acteur du cloud tout simplement, en effet probablement mon bien connu du grand public. Pour autant la maison mère de Scaleway est connue sous le nom d’Iliad ou Free. C’est une filiale à part entière du groupe Iliad qui offre une prestation complète qui va du Data Center (Dedibox) au cloud public (Eléments) et qui est ce dont tout le monde parle. C’est l’équivalent de ce que font AWS (Amazon), Google ou Microsoft avec Azure. Bien entendu Scaleway est beaucoup plus petit que ces acteurs. On est un acteur régional, plutôt barycentré autour de Paris mais avec une présence à Amsterdam (1 data center) et Varsovie (1 data center).

[EM] : Le reproche qui est fait aux acteurs français, ce serait de ne pas être à la hauteur au niveau des fonctionnalités proposées. Cependant le cloud étant majoritairement une commodité, de ce que j’ai compris, n’êtes-vous pas en fait un acteur équivalent ?

[YL] : C’est une affirmation qu’il faut nuancer. Les Américains savent bien faire évidemment. Ils ont des capitaux pour bien faire, mais aussi pour bien dire ce qu’ils font, et le crier haut et fort. Ensuite il faut distinguer les entreprises de catégorie mondiale, qui ont investi pour aller sur et dans chaque territoire, d’un acteur régional qui n’est connu que sur son périmètre. C’est clair que lorsqu’on parle de Microsoft c’est un acteur éminemment respectable qui a environ 40 ans et à une offre riche et complète. Celle-ci va de l’Operating System jusqu’au cloud, c’est assez tentaculaire. C’est assez facile pour une DSI de se dire, on travaille déjà avec Microsoft pour la suite Office, et c’est facile de se laisser séduire par le discours qui vous dit on fait déjà çà, et donc si vous prenez l’ensemble on vous fait un petit discount… C’est ce que l’on appelle le bundling d’un point de vue commercial. D’un point de vue technique, si on prend le leader sur le marché, AWS ils ont été pionnés en 2014, sur le Cloud public. Scaleway qui s’appelait autrefois online était pionnier en son temps sur les serveurs bare metal, et le cloud public serveur bare metal, mais on n’avait pas la profondeur catalogue qui permettait de dire que l’on était une alternative à AWS il y a 7 ans. Mais aujourd’hui les choses sont très différentes. D’une part, la France et l’Europe n’ont pas fait complètement leur migration vers le cloud public, on est dans une situation intermédiaire. D’autre part, lorsque l’on fait sa migration vers le cloud public on n’a pas besoin de tout, tout de suite.

Qu’est-ce que c’est que le cloud, vous parliez de commodité à juste titre, il s’agit de l’ordinateur de quelqu’un d’autre. Dans cet ordinateur on y met soit du calcul, soit du stockage et du transit d’information. Cet ordinateur est assemblé en Chine avec des puces sud-coréennes pour la mémoire et des puces américaines comme Intel pour le cpu. Cet ordinateur est le même pour tout le monde, le même pour AWZS, pour Google, pour Microsoft et Scaleway, c’est déjà une commodité. L’avantage c’est qu’une fois acheté, cet ordinateur nous appartient, ensuite il faut beaucoup de logiciels pour cette ressource soit partagée et consommée sous forme d’architecture moderne. Et bien, c’est cela la partie complexe. Scaleway aujourd’hui, c’est 400 personnes dont 300 qui font que cela, du logiciel pour développer les moyens de consommer cette ressource de façon très élastique avec des services à forte valeur ajoutée.

Les Américains ont un catalogue fonctionnel extrêmement riche, fort de leurs dizaines de milliards d’investissement, et bien Scaleway à le socle commun pour répondre à au moins 80% des cas d’usages. Selon la loi Pareto avec 20% des produits on répond à 80% des besoins. S’il y a 2-3 ans Scaleway n’était pas en position de répondre à ce niveau, maintenant nous y sommes !

Le cloud c’est une commodité pour preuve il y a 3 Américains, et même un quatrième peu connu qui est arrivé il y a 10 ans, Digital Ocean. Nous ressemblons beaucoup plus à ce dernier. On a aussi les Chinois qui arrivent. La bonne nouvelle c’est qu’en France nous avons trois acteurs du cloud.

La question n’est pas d’interdire les acteurs américains, mais pour de nombreux cas d’usages, les Français répondent parfaitement au cahier des charges.

[EM] : Par exemple comment vous positionnez-vous dans le choix de Microsoft Azure pour héberger les données de santé des Français (avec toutes les problématiques liées au Cloud Act) ?

[YL] : Le fait de dire que les acteurs français ne peuvent pas répondre à ce besoin est effectivement limite mensonge. Il faudrait, un, nous dire en quoi nous ne sommes pas capables ouvertement. Nous sommes capables de l’entendre. Y-a-t-il des fonctionnalités manquantes, probablement, mais il faut pousser le raisonnement intellectuel jusqu’au bout, pourquoi ne pas découpler la partie stockage de la partie traitement et/ou Intelligence Artificielle par exemple. Si oui, dans ce cas le stockage ne pourrait-il pas être lui chez des acteurs français car la notion de multicloud est une notion toute simple, on n’est pas obligé de tout faire avec un seul et même fournisseur. D’ailleurs les DSI ont l’habitude de travailler avec de multiples fournisseurs. Pour le Data Hub Santé, le prototype a été lancé à une époque où peut-être le bon partenaire était Microsoft. Mais ensuite il a été promis de faire un appel d’offres, on l’attend toujours. On en revient à la question et au mensonge, les Français n’ont pas ce qu’il faut de quoi parlons-nous ?

Les Français ont ce qu’il faut ! La preuve Scaleway existe depuis 15 ans et a des dizaines de milliers de clients qui lui font de confiance. Scaleway est un cloud de confiance.

[EM] : J’ai aimé particulièrement votre proposition qui est plutôt que de parler de « Cloud de confiance » et le définir, plutôt définir ce qui n’est pas de confiance. Quelles seraient selon vous les trois conditions majeures qui définiraient cette absence de confiance ?

[YL] : Alors, quand j’analyse cette doctrine française du cloud au centre, j’ai été choqué par l’annonce du 17 mai 2021 parce que des structures qui n’existent pas encore à date ont été mises en avant. De plus elle ne me semble pas de confiance par rapport aux lois extraterritoriales.

Pour moi un cloud qui ne serait pas de confiance, c’est :

  • Un cloud dont les données sont ailleurs de là où la souveraineté est importante. Si les données pour le cas qui nous intéresse ne sont pas en France, ce n’est pas un gage de confiance
  • L’opérateur de la totalité de la stack (Data center au logiciel) est assujetti aux lois extraterritoriales (Cloud Act ou FISA) alors il ne faut pas avoir confiance.
  • La maitrise logicielle est un sujet, il faut pouvoir auditer le code, pour s’assurer de l’absence de backdoor ou de fuite de données. Par définition le cloud est toujours connecté.

Ces trois éléments sont des drapeaux rouges pour avoir confiance, ensuite s’est au marché de s’organiser, pas au gouvernement de dire voici ce qui est le cloud de confiance. Alors qu’en France nous avons la chance d’en avoir trois, ce qui n’est pas le cas pour beaucoup d’autres pays européens.

[EM] : Peut-on envisager une initiative purement privée sur ce sujet ?

[YL] : On a lancé une initiative justement au sein d’Euclidia, c’est une association à visée pédagogique, faire comprendre qu’au sein de l’Europe on a cette expertise logicielle sur les sujets du cloud. On met aussi en place des binômes cloud + solution SaaS européens parfois open source et parfois pas. Il existe donc des propositions de cloud souverain. Scaleway est un cloud souverain, on possède nos datas centers, notre logiciel et nous sommes de capitaux français. Pourquoi Scaleway devrait se justifier pour être souverain, remet-on en cause la souveraineté de Microsoft aux Etats-Unis ?

[EM] : Le reproche fait souvent aux acteurs du Cloud Français, serait de ne pas avoir les outils nécessaires et performant pour le Big Data et le Deep Learning. Comment lutter contre ces préjugés de mon point de vue infondés ?

[YL] : Le Data Hub Santé fait peut-être du « Rocket Science », je ne sais pas mais on a chez nous des start-ups, des scale-ups qui nous demandent de grosses capacités de calcul auxquelles nous sommes en capacité de répondre. Donc oui, je pense que nous sommes capables de répondre au besoin du Data Hub Santé. Encore faudrait-il qu’ils nous disent ce dont ils ont besoin.

[EM] : Un autre fait marquant de ces dernières semaines a été l’annonce faite par Thales d’une collaboration avec Google. N’aurait-on pas pu avoir une collaboration tout aussi fructueuse entre Thales et Scaleway ?

[YL] : Je pense que la France souffre d’un tropisme « CAC Quarantien », c’est un petit peu le mal du pays, avec beaucoup de dépendance aussi sur les ESN, qui font à la place de. On a perdu en France cette capacité d’ingénierie fondamentale, c’est une pente glissante, on fait faire… Thales reste une entité encore en capacité de faire et est d’ailleurs un acteur important dans notre souveraineté de Défense Nationale.

D’ailleurs, je ne suis pas un souverainiste, mais plutôt un protectionniste libéral. Pour que l’on puisse être dans la course il faut développer et protéger nos PME. Et la France ne sait pas faire cela. On parle du Smal Business Act, il ne fonctionne pas en Europe, il ne fonctionne pas en France en tous les cas sur le numérique. On a peut-être un tissu de PME efficaces en agriculture, mais au niveau de la tech cela ne fonctionne pas.

Donc je n’ai pas d’avis particulier sur l’alliance Thales-Google, cela ne me choque pas parce que Google peut très bien proposer une brique particulière. Il faudrait creuser plus en détails sur ce partenariat. En revanche cette annonce est dans la droite ligne des précédentes comme Capgemini – Orange, où on transpose le modèle du moment, la version sous licence. Ce modèle pour moi ce n’est pas du cloud de confiance, c’est précisément une offre qui n’existe pas et si elle existe, elle n’est pas de confiance car le logiciel n’est pas souverain.

[EM] : Ne pensez-vous pas que de grands acteurs institutionnels ou privés comme les CCI, les sociétés de com., et les grandes ESN françaises nuisent à notre souveraineté numérique en préconisant exclusivement les solutions #MAGAF ?

[YL] : Je pense que c’est une dynamique, je ne leur jette pas la pierre. Il y a cependant une prise de conscience globale. La notion de jouer collectif ne peut pas marcher toute seule, « business is business ». Si les consultants de ces grandes ESN sont formés à Microsoft, et que les prix ont été négociés, et que Microsoft facture très cher plein d’éléments, il y a tout un moteur qui va entretenir cette machine assez peu efficace. Parce qu’il y a beaucoup d’intermédiaires, et cela ne peut donc pas venir d’eux-mêmes.

Par contre ce qu’il se passe, c’est que moi, j’ai des conversations très intéressantes, avec certaines de ces ESNs, pas nécessairement celles qui ont déjà fait ces grandes alliances avec les Américains, mais là encore c’est une question d’affinité, de taille. On ne prétend pas être Microsoft, Scaleway est un acteur régional avec un socle commoditaire qui est tout à fait respectable, mais nous ne prétendons pas être Microsoft. Il y a donc des ESN qui nous correspondent en termes de taille, qui ont des clients qui veulent du cloud souverain. La notion de jouer collectif vient de la demande, si la demande française et européenne demande plus de diversité et si on a été clair sur les dangers géopolitiques les choses peuvent bouger. Si ces fameux cloud que l’on nous annoncé à grande pompe, sont en place et utilisés, si les Etats-Unis, qui ont une doctrine d’América first, décident d’utiliser la totalité de leurs ressources pour affaiblir l’Europe pour que nous ne venions pas les embêter et attaquer une super puissance, du jour au lendemain ils peuvent tout couper.

Pour reboucler sur Gaia-X, cette initiative ne traite absolument pas la question de souveraineté. Ma décision assez soudaine de quitter le consortium mais issue d’une longue analyse et d’un constat que Gaia-X ne traite pas de la souveraineté. D’ailleurs, l’annonce de la direction de Gaia-X m’a même choqué, qui est de favoriser la croissance du cloud mais le marché est auto-porté à 30-40%, finalement si c’est pour renforcer le statut quo et permettre aux acteurs dominants de continuer à dominer (ESN – Big Tech) cela ne sert à rien.

[EM] : Ayant un peu suivi vos différentes interventions, quitter Gaia-X permet à Scaleway de se refocaliser sur son développement et de profiter d’une bonne dynamique, pouvez-vous nous éclairer en quelques chiffres ?

[YL] : On est très focalisé, mais on a besoin encore plus de se focaliser et le marché n’attend que cela de nous. C’est-à-dire, de fournir des solutions sur le socle commoditaire, et de fournir de l’innovation aussi. Or une structure comme Gaia-X veut tout sauf de l’innovation. Ils veulent un socle commun, mais ce dernier ne sera pas commun.  Ce dénominateur commun sera le plus haut possible pour être une barrière à l’entrée, que souhaitent les acteurs dominants. Les acteurs de petites tailles, ou de moyennes tailles sont les bienvenus, mais sur le siège du passager…

[EM] : En France l’ensemble de vos Data Centers sont en région parisienne, avez-vous des projets d’implantation en régions ? Si oui, pouvez-vous préciser lesquelles ?

[YL] : Alors excellente question, Scaleway c’est 4 data centers en région parisienne et 3 AZ, zone de disponibilités, on a deux data centers (DC) qui sont jumelés. Scaleway est le seul acteur européen à avoir une région complète en France. Une région complète au sens du cloud moderne, définition AWS, qui consiste à avoir 3 zones de disponibilité en redondance totale dans une région donnée. Les deux autres acteurs sont AWS et Microsoft. Scaleway a aussi une présence à Amsterdam et Varsovie et là-bas aussi nous avons l’intention de proposer des régions complètes. Et cela va de soi, parce que c’est cela un cloud public.

[EM] : Je pensais plutôt à la province, pour réduire le risque d’une présence qu’en région parisienne ?

Avoir des implantations en régions est tout à fait pertinent. Il y a plusieurs notions, nos DC sont dans des régions à risques variables, mais cette notion de région (DC AZ) permet de réduire l’impact d’un incident sur un DC. Cependant nos DC si, ils sont en zone inondable, ils sont surélevés, limitant le risque. Un de nos DC est à 45mn de Paris, c’est d’ailleurs notre fleuron d’innovation technologique. Il est le plus responsable utilisant un système de refroidissement adiabatique.

En absolu la consommation des DC est énorme mais en relatif, plus on met d’éléments dans un DC plus on gagne en efficacité, notamment énergétique. Notamment par rapport à une informatique mal gérée et distribuée.

Sur la question de la localisation de DC en province, un des éléments à prendre en compte est que la France est extrêmement bien maillée en termes d’infrastructure de communications (Telecom, fibre). Plus de petits DC répartis sur l’ensemble de la France pourrait faire sens notamment sur les questions d’edge computing. C’est une question complexe sur la granularité de l’unité de calcul, l’unité de stockage, combien on met et où ? Pour se rapprocher de l’utilisateur. L’edge computing c’est le sujet en devenir, et cela fait partie de nos objectifs et réflexions. Le challenge ce sont les 5ms entre l’application mobile et le DC.

 

[EM] : Nous arrivons à la fin de notre entretien. Quelles perspectives voulez-vous donner pour conclure ?

[YL] : La perspective est plutôt bonne. Scaleway n’était pas connu, et pourtant c’est une entreprise qui à 15 -20 ans d’âge. C’est à nous de faire du bruit, de nous faire connaître. Mais c’est surtout à nous de montrer que nous avons les bons produits qui répondent au cas d’usage. Nous avons beaucoup de clients en France, et en Europe. Nous avons aussi des clients dans 160 pays. On a probablement des choses intéressantes pour tout le monde. La France à cette capacité de répondre à ces besoins. Soyons fous, imaginons que la France et l’Europe fournissent jusqu’à 30% de ces besoins en cloud.

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