Très bel entretien avec Nathalie Maubon CEO et CSO , ainsi que de Grégory Maubon CDO d’HCS Pharma une biotech innovante qui propose un modèle unique de culture cellulaire 3D. Cette entreprise se situe en France à Lille et est entré dans l’incubateur du NHRI de Taiwan.
[Emmanuel Mawet] : Bonjour Nathalie, vous êtes le CEO de cette start-up française innovante, avant de parler d’HCS Pharma, pourriez-vous nous faire un rapide tableau de votre parcours ?
[Nathalie Maubon] : J’ai fait une thèse en recherche fondamentale en cancérologie, en biologie moléculaire et cellulaire et j’ai ensuite travaillé dans l’industrie pharmaceutique, société de biotech pendant 12 ans. J’étais en charge de développer de nouveaux modèles in vitro, de les miniaturiser et de les industrialiser sur des plateformes robotiques afin de tester des librairies de molécules à grand échelle. J’étais en parallèle membre des projets de recherche ou chef de projet recherche pour la recherche de nouveaux médicaments de la recherche du hit au candidat médicament clinique.
[EM] : Quels ont été les éléments moteurs pour rejoindre l’aventure HCS pharma ?
[NM] : J’ai créé HCS Pharma sur 3 constats :
- Grâce à l’industrialisation et au progrès de la médecine, l’espérance de vie de la population mondiale a fortement progresser ces 30 dernières années. Malheureusement, certaines maladies dites complexes comme le cancer ou les maladies neurodégénératives comme Alzheimer ou Parkinson ont aussi fortement augmenté. Et les médicaments actuellement disponibles contre ces maladies restent encore peu efficaces. Il est donc nécessaire d’accentuer les efforts pour trouver de nouveaux traitements contre ce type de maladies (nouveaux médicaments, thérapie cellulaire…)
- Les industries pharmaceutiques n’innovent pas avec le procédé de recherche de médicaments actuels. Les candidats médicaments qui doivent passer les tests chez l’homme sont choisis sur des résultats provenant de modèles in vitro trop simpliste ou de modèles animaux non prédictifs de ce qu’il va se passer chez l’homme. En résultats 90% de candidats médicaments échouent en phase clinique chez l’homme et il s’agit de 97% d’échec en cancérologie.
- Du fait de ce manque d’innovation, les industries pharmaceutiques ferment leur centre de recherche avec finalement un transfert de risque sur la recherche académique qui n’est pas formé pour l’industrialisation des tests in vitro.
Il est donc indispensable de relancer l’innovation dans la recherche de nouveaux traitements, ce pour quoi, j’ai créé HCS Pharma avec l’objectif de changer le processus de recherche de nouveaux médicaments pour obtenir des traitements plus efficaces.
[EM] : Historiquement HCS Pharma, quelles sont ses activités ?
[NM] : Venant du privé, j’ai créé HCS Pharma en tant que CRO. Nous sommes spécialisés en imagerie cellulaire. Nous avons démarré avec des tests in vitro classiques en culture en 2D et nous avons très vite mis en place un partenariat avec une autre start-up, Celenys, qui développait une technologie de culture 3D, la technologie BIOMIMESYS, qui permettait de reproduire la matrice extra-cellulaire de tout type d’organe. Celenys développait les produits de culture cellulaire avec la technologie BIOMIMESYS et au sein d’HCS Pharma, nous développions et validions des modèles cellulaires sur la base des produits BIOMIMESYS. Malheureusement Celenys a fait faillite en 2017 et nous avons racheté le brevet et internalisé la technologie au sein d’HCS Pharma. Depuis, notre business model a changé dans le développement de produits BIOMIMESYS. Cette technologie étant une technologie de rupture, cela nous demande des moyens financiers et humains plus conséquents que précédemment. Nous développons des produits sur la base de cette technologie BIOMIMESYS et nous l’utilisons aussi en interne dans le but de rechercher de nouveaux médicaments/thérapies cellulaires seul ou en partenariat avec d’autres sociétés de biotechnologie ou pharma.
[EM] : En quoi Biomimesys® représente une vraie percée et quelle valeur ajoutée pour vos clients ?
[NM] : BIOMIMESYS® est la seule technologie qui recrée fidèlement l’environnement de tout type d’organe, aussi appelé la matrice extra-cellulaire (MEC). Un organe ou un tissu est créé de cellules qui sont fixées sur un squelette solide par le biais de protéines d’adhésion. Les systèmes de culture cellulaires en 3D sont à l’heure actuelle de 3 types : sans matrice qui forment un agrégat de cellules compactes, des squelette solides de type plastique sans protéines d’adhésion avec aussi un agrégat de cellules qui se crée dans les cavités du plastique ou des hydrogels sans structure solide. Dans le procédé de création de BIOMIMESYS, on crée un hydrogel à partir des éléments structurels solides de la MEC sur lesquelles sont greffées les protéines d’adhésion puis on a un procédé physique qui va permettre le changement d’état de l’hydrogel en structure solide. Comme on peut jouer sur la composition et la modification du procédé de changement d’état, nous pouvons recréer des matrices de façon organe spécifique avec les mêmes propriétés chimiques, physiques et biologique que la MEC in vivo.
[EM] : Votre technologie Biomimesys® a été reconnue DeepTech par BPI France quels impacts ?
[NM] : L’impact est surtout plus de visibilité. Nous faisons aussi parti d’une communauté d’entrepreneurs porteurs de technologie deep tech ayant avec les mêmes contraintes, les mêmes enjeux et les mêmes problématiques, tel que les besoins de financement élevé, les possibilités multi-marchés, les difficultés de vente des systèmes disruptifs…
[EM] : Peut-on affirmer que cette percée est aussi due au numérique qui prend une part de plus en plus importante dans le domaine pharma et scientifique ?
[NM] : Oui, tester des 100aines de milliers de composés sur des tests biochimiques s’étaient encore relativement simple car 1 molécule testée donnait un résultat chiffré. Depuis que le test des molécules se fait sur des tests cellulaires en 2 dimensions par imagerie cellulaire avec une analyse des images donnant des résultats chiffrés, une molécule testée peut donner 1 à quelques images qui vont donner une 10ène voire une 100ène de résultats chiffrés. Mais lorsque nous passons à des tests de molécules sur un mini-tissu ou organe recréée grâce à BIOMIMESYS®, il faut faire un stack d’images en 3D, reconstruire l’objet en remplissant les trous entre 2 images pour ensuite analyser les objets pour obtenir des résultats chiffrés et tout cela à haut débit pour tester les mêmes librairies de molécules. Le numérique est donc au cœur des pharmas.
[EM] : Quelles ont les briques numériques indispensables pour mener à bien un projet comme le vôtre ?
[Grégory Maubon] : Pour analyser l’effet de librairies de molécules sur les tissus reconstitués avec BIOMIMESYS, on utilise le big data, l’analyse d’objet par reconstruction de stack d’images puis analyse de données par machine learning, deep learning et/ou IA
[EM] : Il y a de nombreuses biotech qui se développent autour des technologies 3D printing, notamment pour la reconstruction de peau artificielle. Quelles différences ou similarités avec votre technologie Biomimesys® ? Y-a-t-il des points de convergences ?
[NM] : Il y a effectivement plusieurs entreprises qui développent des bioimprimantes et/ou des bioencres comme Cellink ou du service ou thérapie cellulaire comme poïetis à Bordeaux pour la peau reconstruite et le foie ou organovo qui sur le foie. A mon sens, il y a plusieurs problèmes au bioprinting. Le premier problème est le temps de printer les cellules qui permet de faire des micro-tissus mais ne pourra pas être utilisable à haut débit ou recréer des organes complets comme essaye de le faire organovo. Le second problème majeur est l’utilisation des bioencres qui sont des hydrogels sans structure solide. Ces hydrogels encapsulent les cellules et réduisent les échanges gazeux et de nutriments. La nature étant bien faite, les cellules s’auto-organisent quand on les met dans BIOMIMESYS. Par exemple, la différenciation de cellules souches dans BIOMIMESYS® a permis d’obtenir des organoides complets architecturés avec l’ensemble des cellules du foie fonctionnelles. D’autre part, BIOMIMESYS étant très poreux, environ 100 µm, il est possible de faire des structures de grandes tailles sans avoir de mortalité cellulaire en plein cœur de la structure.
[EM] : HCS Pharma est née en France avec ses deux sites de Lille et Rennes et de droit français. Est-ce aussi une entreprise française dans la composition de son capital ?
[NM] : Pour le moment, oui. Mais les levées de fond pour ce type de technologie disruptive est difficile alors que les besoins de financement sont conséquents.
[EM] : La crise sanitaire à mis en évidence des dépendances industrielles majeures de la France dans le domaine sanitaire. Que pensez-vous des aspects de souveraineté industrielle ? En quoi HCS Pharma contribue à cette souveraineté ?
[NM] : C’est un vœu pieux du gouvernement français et aussi porté par l’Europe avec l’EIC mais à mon sens, les moyens financiers ne sont pas au rendez-vous. Quand on arrive péniblement à lever quelques centaines de milliers d’€, aux Etats-Unis les start-up lèvent plusieurs millions. Après l’amorçage, les levées de fond pour le développement sont très difficiles en France. Avec l’EIC, les start-up deep tech peuvent lever jusqu’à 15 millions mais cela reste insuffisant avec un process long en 3 étapes qui n’est pas en lien avec le timing d’une start-up. J’espère pouvoir garder cette technologie BIOMIMESYS en France mais au vu des problématiques de levées de fond, comme beaucoup de start-up, il va très certainement y avoir un passage obligé aux Etats-Unis ou en Asie ne serait-ce que pour lancer le business.
[EM] : Les outils informatiques et le passage au cloud sont devenus incontournables, y compris dans les sciences de la vie. En tant que dirigeante d’entreprise, avez-vous conscience des enjeux de sécurité autour de la data ?
[GM] : Dès l’origine de l’entreprise nous avons basé notre stratégie sur une vision hybride des services informatiques. Une partie de nos outils sont hébergés dans le cloud pour faciliter leur développement et leur mise à l’échelle. Une seconde partie est localisée dans nos locaux pour des questions de sécurité et de volume de données. Nous prenons très au sérieux la question de la sécurité de notre infrastructure car nous déjà protégé à la fois nos données et celles de nos clients. Je tiens d’ailleurs à préciser que cette question de la sécurité n’est qu’une affaire de technologie. Nous nous formons régulièrement en interne pour que tous et toutes soient au courant des « gestes de sécurité informatique » car aujourd’hui, l’ingénierie sociale est le plus grand danger.
[EM] : Savez-vous que choisir des solutions technologiques américaines, vous met à risque de part l’extraterritorialité de leurs lois ? Et qu’ils ont déjà utilisé cette arme dans un cadre de « guerre économique » ?
[GM] : Nous sommes tout à fait conscients de ce problème et nous nous tenons au courant des négociations actuelles de la Communauté Européenne avec le USA. Nous essayons autant que possible d’utiliser des solutions européennes pour nos besoins informatiques mais il est parfois compliqué de trouver chaussure à son pied pour des PME comme la nôtre. Heureusement il existe de plus en plus de possibilités comme l’ERP Dolibarr ou l’outil de co-création CryptPad et nous voyons avec espoir des initiatives de structuration des offres comme Euclidia.
[EM] : Pensez-vous que la souveraineté numérique est une dimension importante pour un dirigeant d’entreprise ?
[GM] : La souveraineté technologique ainsi que la souveraineté numérique sont des dimensions très importantes au sein d’HCS Pharma. Afin de trouver des solutions thérapeutiques efficaces contre les maladies de notre siècle comme le cancer ou les maladies neurodégénératives, l’innovation doit se faire à tous les niveaux : de la reconstruction de modèles cellulaires pertinents utilisables en criblage haut débit par des technologies disruptives comme peut l’être BIOMIMESYS jusqu’à l’analyse des images et de données par les outils numériques.
D’autre part, La notion de souveraineté numérique pourrait sembler accessoire pour une entreprise de moins de 20 salariés alors, qu’en effet, c’est une question stratégique fondamentale. Le numérique aujourd’hui est au cœur de toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Malheureusement, ce sont les plus petites qui, faute de compétences de temps et de moyens, sont les plus mal armées pour mettre en place les bons outils. Nous prenons très au sérieux ce concept en essayant à chaque décision impliquant le numérique, d’exercer un choix « éclairé » (le principe même de la souveraineté). Parfois, comme nous l’avons évoqué précédemment, c’est compliqué et nous devons appliquer un principe de réalité, qui est souvent lié à une question de cout ! Mais, encore une fois, nous ne sommes pas dupes de cette faiblesse et nous travaillons à retrouver rapidement notre capacité de choix.
[EM] : Pour revenir sur HCS Pharma, quelles sont vos ambitions pour les 5 prochaines années ?
[NM] : L’ambition est de faire connaître la technologie BIOMIMESYS à l’internationale et donc de pouvoir se développer à l’internationale par la mise en place de nouveaux sites aux US et/ en Asie, de continuer la recherche et le développement de BIOMIMESYS pour une utilisation interne à des fins de trouver de nouveaux candidats médicaments contre le cancer ou les maladies neurodégénératives bien plus efficaces que ceux actuellement sur le marché. En Asie, nous souhaitons aussi développer la technologie à des fins de thérapie cellulaire et médecine régénérative.
[EM] : Nous arrivons à la fin de cet entretien, quelle serait votre conclusion ?
[NM] : Ma conclusion est qu’il est important de réindustrialiser la France et le faire par le biais des technologies disruptives comme peut l’être BIOMIMESYS est une excellente idée pour aller vers la souveraineté technologique. Je vois les choses évoluer dans le bon sens en France mais aussi en Europe mais il faudrait aller plus vite dans ces changements et accroitre les financements car la réindustrialisation de la France est encore loin d’être une réussite.