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La souveraineté numérique est-elle mise en danger par les sociétés de communication ?

web design

Source : Pixabay

Lorsque l’on parle de souveraineté numérique, on pense tout d’abord à la souveraineté de nos données, un sujet devenu sensible notamment du fait de l’affaire du Data Hub Santé (Effisyn SDS 21 mai 2020). On s’insurge contre l’état qui met à mal des entreprises du numérique françaises qui, en dépit de leur taille modeste, n’ont rien à envier aux acteurs reconnus, américains notamment.

Cependant, cette « déconstruction », ce sabotage des efforts de nos entreprises du numérique français peut s’expliquer par plusieurs facteurs, notamment des intérêts divergents entre ces mêmes sociétés.

Les acteurs du numérique français

Afin de comprendre les enjeux et les forces internes aux acteurs du numérique, peut-être faut-il essayer de les catégoriser. Et nous verrons alors qu’en fonction de la catégorie et des choix commerciaux et technologiques faits par chacun de ces groupes la défense de la souveraineté numérique n’a pas du tout le même intérêt ni le même impact.

Pour simplifier je résumerais le paysage numérique à 5 catégories d’entreprises :

  • Les éditeurs de solutions (logiciel ou plateforme SaaS)
  • Les hébergeurs (Cloud (Public / Privé)
  • Les ESN (Entreprises de Services du Numériques anciennement SSII)
  • Les agences de communication digitale et les Web Agency
  • Les constructeurs de matériel (processeurs, puces, pc, smartphones)

Bien entendu, chacun des acteurs de ces catégories peut avoir des intérêts divers en fonction de ses propres choix technologiques. Un éditeur de solutions, ayant basé l’architecture technique de sa solution sur des briques technologies américaines, ne voit pas la souveraineté numérique de la même façon, qu’un acteur qui utilise des briques du logiciel libre ou qui a développé sa propre technologie.

Dans cet article je me focaliserai plus particulièrement sur 2 de ces catégories, les web agency et les ESN. Je pense en effet, qu’elles jouent un rôle particulièrement négatif dans la mise en place d’une véritable politique de souveraineté numérique, et c’est compréhensible sinon acceptable. Il nous faut admettre vivre dans un monde complexe et toute simplification excessive peut parfois être contreproductive.

Les ESN

J’ai déjà eu l’occasion d’aborder le problème dans un article précédent (Effisyn SDS – 30 juin 21). Ici, je vais essayer de préciser sur le pourquoi de cette emprise des #MAGAF sur nos grandes ESN.

L’une des premières grilles de lecture que nous pouvons avoir sur la situation, est macroéconomique et liée aux choix de nos gouvernants depuis au moins 30 ans d’orienter l’économie française vers une économie de services. Nous avons donc vu l’émergence de véritables géants incontestables dans ce secteur, comme Atos, Cap Gemini, Sopra-Steria par exemple. Ce sont des entreprises de stature internationale. Nous sommes passés d’une industrie de faiseur où des acteurs maitrisaient d’un bout à l’autre la chaine de valeur, à une industrie de conseil. On propose donc l’intégration de solutions qui ne sont pas les nôtres…

La deuxième grille de lecture que nous pouvons avoir, est à l’échelle de l’acteur lui-même. Ces entreprises se sont spécialisées dans le conseil et l’intégration de solutions majoritairement américaines. Il y a d’abord Microsoft, qui, il faut le reconnaitre avec sa suite logicielle Office écrasait toute concurrence, puis avec la révolution du cloud, AWS (Amazon) qui offrait une vraie alternative innovante aux installations « on premise » principalement d’ailleurs sur des serveurs Microsoft. Le dernier entrant du côté des grand acteurs américains est Google. Tout cela implique pour les ESN un investissement lourd en compétences chez ces fournisseurs de solutions de cloud ou logicielles, investissements qui seront rentabilisés en poussant leurs solutions auprès de ses clients.

Ce mécanisme est ensuite renforcé par le fonctionnement même des clients. Une DSI, ne se verra jamais remise en cause en cas d’échec si vous avez utilisé les solutions de l’un des leaders du marché. Le risque perçu à s’éloigner des chemins balisés est important. Il faut donc une sacrée dose de courage ou d’inconscience afin de résister à ces règles non écrites.

Les Web Agency

Derrière cette dénomination, je mets les agences de communication / publicité digitale, ainsi que les agences de créations de sites internet qui parfois se recoupent. Quel constat ? Là encore l’ensemble de ces acteurs a majoritairement adopté les solutions américaines ou leurs principes de fonctionnement.

L’ensemble de ces acteurs fonctionnent dans un monde actuellement dominé de façon hégémonique par Google sur plusieurs dimensions.

Tout d’abord, si on prend les chiffres français, la répartition par moteur de recherche est la suivante (Leptidigital – 18 mars 21) : n°1 Google, n°2 Bing, n°3 Yahoo!, n°4 Ecosia, n°5 Qwant et en n°6 DuckDuckgo. Toute agence qui va vous proposer de créer votre site internet, aura cela en tête. Par ailleurs, si vous voulez un site, c’est pour gagner en visibilité, vous accepterez donc de jouer le jeu, et donc d’utiliser les balises Google qui vous permettent l’utilisation de Google Analytics et ainsi suivre votre audience et votre référencement sur les moteurs de recherche…

Pour les agences de communication digitale ou de publicité, la problématique est la même. Pour vous assurer que les campagnes de marketing digital atteignent leur but, ils vous proposeront à minima d’utiliser les balises Google, sur lesquelles s’appuieront les outils nécessaires aux analyses. Cependant, il faut être lucide les informations collectées par le biais de ces balises, ne le sont pas que par les gens que vous avez missionnés pour mesurer l’activité et les flux sur votre site. Google lui-même récupère un nombre important d’informations qu’il peut consolider et revendre.

Ce que je dis pour Google, est tout autant valable pour Facebook et ses pages entreprises et pour Amazon et sa place de marché.

Vous me direz, et alors, cela fonctionne bien, non ? Oui et non, désolé pour cette réponse de normand. Oui, effectivement ces outils sont puissants et vous facilitent la vie et vous permettent d’avoir une connaissance fine de votre audience ou clientèle. Et non, car ces données collectées ne vous sont pas exclusives. Chacun des grands acteurs les collecte aussi, en fait des analyses pour son propre compte, les stocke les agrège et/ou les vends. Amazon est à ce sujet sous le coup d’une enquête de la Commission Européenne (Actualitte.com 10 Nov 20) pour utilisation des données de ces clients pour ajuster le prix de ses propres produits.

Ce qui est critique c’est que ces agences de communication ou Web Agency, par leurs conseils et leurs promotions des solutions américaines de façon quasi exclusive auprès de leur clientèle privée (grands comptes, PME/PMI) empêchent l’émergence de vraies alternatives françaises et souveraine.

Quelles options pour l’émergence de vraies alternatives souveraines ?

Il n’y aura pas de solutions évidentes, puisque l’on doit jouer dans un environnement complexe. Si l’état a un rôle de régulateur à jouer, lui seul ne pourra pas imposer des mesures qui seraient la mort rapide de certains de nos champions que sont les majeurs des ESN. Cependant, il peut jouer un rôle incitatif, en réservant par exemple 50% de ses investissements dans le numérique à des solutions souveraines. Par ce biais, nos grandes ESN seront à leur tour obligées de nouer des partenariats forts avec nos acteurs du numérique souverain et enclencher ainsi un cercle vertueux.

Le deuxième axe du changement se fera aussi par le marché lui-même, la pandémie a mis en évidence notre dépendance industrielle à la Chine pour le côté manufacturé et à l’Amérique pour le numérique. La guerre économique qui nous est menée et par l’un et par l’autre des protagonistes, est devenue visible. De plus, les enjeux géopolitiques qui montrent que cette dépendance peut nous être funeste font qu’un certain nombre d’acteurs économiques français deviennent conscients que les enjeux de souveraineté numérique peuvent être tout simplement des enjeux de survie économique. Ce sera donc aussi le marché qui finira petit à petit par permettre un rééquilibrage du de la situation actuelle observée dans le numérique.

Conclusion

Il est nécessaire de porter un effort important pour acculturer la population. Ce sont également nos choix personnels qui finiront par jouer un rôle. Mais nous pouvons aussi travailler sur la responsabilité environnementale, qui est une préoccupation de plus en plus prégnante de nos populations occidentales. En effet, notamment pour l’hébergement, avoir recourt à des acteurs locaux, c’est non seulement agir en faveur de notre souveraineté numérique, mais c’est aussi faire un geste en faveur de notre écosystème en jouant sur le localisme. Pour les solutions logicielles, l’avantage supplémentaire que j’y vois, c’est une meilleure réactivité et une proximité plus importante entre les acteurs du numérique et leurs clients.

Si le combat pour notre souveraineté numérique est loin d’être gagné, on peut rester optimiste, car nous avons à présent une vraie prise de conscience. Concrétisons-là !

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