Interview Antoine Bourgeois, le patron fondateur de 4MP et du réseau B to B, BizoverBiz et de l’infrastructure de paiement Chain4Wallet. Cet avec plaisir que nous allons aborder le sujet brûlant de la souveraineté numérique, mais aussi parler de ses aventures entrepreneuriales et de ses projets futurs…
[Emmanuel M] : Bonjour Antoine, je suis ravi de pouvoir conduire cette interview avec vous. Pour commencer, pourriez-vous nous présenter rapidement qui vous êtes et votre parcours ?
[Antoine Bourgeois] : Je suis ce qu’on appelle un « entrepreneur innovant », les 2 mots étant pour moi indissociables. J’ai créé une 1ère JEI (Jeune Entreprise Innovante) en 2009 dans les Hauts-de-France pour y développer un TPE (terminal de paiement) basé sur le smartphone. A l’époque nous étions 3 sociétés dans le monde sur ce type de produit, dont une société Suédoise rachetée depuis 2,2 milliards $, et une société Américaine entrée récemment en bourse avec une valorisation de 6 milliards $. Quant à ma JEI, elle a échoué faute de pouvoir trouver des financements suffisants dans la région d’accueil. C’est pour cette raison qu’en 2016, j’ai ma 2ème JEI en Ile-de-France.
[EM] : Pouvez-vous nous expliquer plus en détail les activités de 4MP, mais surtout le réseau B to B : BizoverBiz que vous avez créé ?
[AB] : Le réseau B2B constitué sous la marque BizOverBiz est assez classique : il permet aux entreprises TPE – PME d’éditer des factures, devis ou bons de commande, de les signer électroniquement, de les placer dans un coffre-fort électronique, pour au final les mettre à disposition de leurs destinataires. Ce qui n’est pas classique en revanche, c’est de permettre le paiement de ces mêmes factures grâce à l’infrastructure que nous avons créée de toute pièce : la Chain4Wallet, qui est totalement indépendante de Visa – MasterCard, de SEPA, des banques, et qui a l’ambition de préserver notre souveraineté dans ce domaine, même face aux GAFAM !
[EM] : Nous avons eu déjà l’occasion d’échanger brièvement sur des sujets liés à la souveraineté numérique. Quelle est votre position, compréhension du sujet ?
[AB] : Notre souveraineté numérique passe par notre capacité à stocker et gérer toutes nos données sensibles grâce à des infrastructures Européennes que nous maîtrisons de bout en bout. On n’est évidemment pas obligés d’agir ainsi pour tout type de données, mais dès qu’elles sont jugées « sensibles » elles doivent être absolument gérées de cette manière.
[EM] : Suite à l’émoi, provoquer par l’affaire du Data Hub Santé, les acteurs du numériques se sont regroupés en collectif PlayFrance.Digital . Que pensez-vous de cette initiative ?
[AB] : C’est une grande satisfaction pour moi que des entrepreneurs Français aient lancé cette initiative « PlayFrance Digital ». On se sent évidemment tout de suite moins seul dans cette nécessaire lutte pour la préservation de nos données, qu’il s’agisse des données de santé (l’affaire du mystérieux appel d’offre au profit de Microsoft), des données commerciales et ou des données de paiement (fintechs financées par la BPI et/ou des fonds d’investissements Français avec des données dans des clouds Américains), de données financières d’entreprises (l’affaire du PGE géré par la BPI dans un cloud Américain), etc … Parce que la liste ne s’arrête pas là. On parle même désormais de banques commerciales qui seraient tentées d’utiliser elles aussi un Cloud Américain (une banque Allemande !). Sans oublier les jeux olympiques de Paris 2024 dont la gestion sera faite par un cloud … Chinois !
[EM] : Nous avons vu aussi un début de prise de conscience des politiques français, mais en dehors des paroles, commencez-vous à voir des actions allant dans le bon sens ?
[AB] : Pour le moment (nous sommes fin Août 2020) je ne vois encore rien de concret en France au-delà des discussions, rapports et autres déclarations d’intention. Par exemple, ma société est en levée de fonds actuellement pour lancer la Chain4Wallet sur l’Europe puis sur l’Afrique, personne ne m’a encore contacté pour me dire « J’ai bien compris qu’il fallait protéger nos données. Combien faut-il investir pour garder nos données de paiement ? ». Alors que nous avons des investisseurs prêts à investir aux Emirats Arabes Unis. Alors que des fonds Africains sont prêts à nous financer pour le déploiement en Afrique dès lors que le lancement en Europe sera effectif.
[EM] : Au niveau européen il semble qu’il y ait une prise de conscience similaire, peut-être plus structurée, grâce au commissaire européen Thierry Breton, probablement due à son passé d’industriel du numérique. Qu’en pensez-vous ?
[AB] : Il est sûr que Thierry Breton (ancien patron d’un gros acteur du monde informatique, ancien ministre de l’économie) est la personne idéale au niveau de l’Europe pour comprendre tous ces enjeux. Mais quel est son pouvoir réel pour imposer des changements au poste qui est le sien ? Là est la question.
[EM] : Il est vrai que nous ne pouvons tout attendre du gouvernement, mais que penser de nos grands acteurs économiques français, jouent-ils le jeu ? Le peuvent-ils ?
[AB] : Oui, ils le peuvent ! Je me suis exprimé plusieurs fois sur les réseaux sociaux à ce sujet : il y a une « grande paresse » et une « peur excessive » au niveau des directions IT des ETI et grandes entreprises quant au choix des prestataires externes. C’est tellement facile de dire à sa direction « Voici le prestataire que j’ai choisi : c’est le No 1 mondial ». Cela prend 5 Mn tout au plus, cela rend impossible tout futur reproche, et tout est bouclé rapidement sans le moindre risque : peu importe si on choisit un bazooka alors que l’on a besoin d’une simple lance. Et comme très souvent, l’aspect environnemental est aussi le cadet des soucis de ces mêmes décideurs.
[EM] : Est-ce un sujet réellement pris à bras le corps par le Medef ? Il ne me semble pas avoir entendu de position prise de façon ferme sur le sujet par Geoffroy Roux de Bezieux ?
[AB] : Le Medef est un syndicat patronal. Il fait des déclarations, des études, donnent des avis, influence le pouvoir politique, mais ne peut en aucun cas contraindre ses adhérents. Mais peu importe, l’important est que tout le monde, économistes, syndicats, pouvoirs politiques, entrepreneurs aillent dans le même sens, c’est à dire celui de la préservation de notre souveraineté technologique et numérique.
[EM] : Je sais que le sujet de souveraineté qui vous préoccupe, concerne les moyens de paiement. Que pouvez-vous nous en dire ?
[AB] : La souveraineté sur les données et moyens de paiement ne me préoccupe pas plus ni moins que celle liée à d’autres domaines. Il se trouve simplement que c’est celle pour laquelle j’ai quelques compétences et celle pour laquelle je me mets au travail chaque jour.
[EM] : Pour répondre à cette problématique, il me semble que vous avez dans les tuyaux un projet qui est un stade avancé, pouvez-vous nous en dire plus ?
[AB] : La Chain4Wallet est un formidable projet dont je suis très fier. C’est ce que je voulais déjà mettre en œuvre avec ma 1ère JEI en 2009 dans le prolongement du TPE sur smartphone.
Quel formidable concept que de dire « Mon compte en banque est un espace sécurisé dans lequel il n’y a que de la monnaie. Pire, une seule monnaie ! Ce serait sympa, utile et écologique que je puisse aussi y mettre en version dématérialisée tous les éléments contenus dans mon portefeuille, et qu’ils deviennent ainsi échangeables de portefeuilles numériques à portefeuilles numériques, de wallets à wallets en anglais, dis encore autrement de smartphones à smartphones ».
Pour moi, c’est d’une telle évidence, que je me demande toujours pourquoi je ne reçois pas des dizaines de demandes chaque semaine pour participer à ce challenge.
[EM] : Pour vous à échéance de 5 ans, où en serez-vous sur l’ensemble de vos projets ?
[AB] : D’ici 5 ans il faut que nous ayons 10 millions de wallets actifs dans la Chain4Wallet. Ça peut paraître beaucoup, mais sur 2 continents, en multipliant le nombre de wallets par 10 chaque année c’est tout à fait réalisable : 1000 en 2020, 10.000 en 2021, 100.000 en 2022, 1 million en 2023, 10 millions en 2024. Par ailleurs, les factures, devis et bons de commandes dématérialisés de la plateforme BizOverBiz suivront aussi une courbe ascendante, même si celle-ci sera moins spectaculaire.
[EM] : Cher Antoine, nous arrivons à la fin de cet entretien, pouvez-vous donner votre conclusion ?
[AB] : Essayons de voir la situation actuelle le plus positivement possible : ce fichu virus Covid-19, même s’il restera à jamais détestable à bien des égards, aura peut-être des incidences positives malgré tout : prise de conscience accrue de nos faiblesses sanitaires, prise de conscience accrue de nos faiblesses industrielles, environnementales, économiques, et aussi bien sûr en matière de souveraineté. Or, derrière ce dernier point se cachent en fait nos « libertés » mais aussi notre « création de richesses » sans lesquelles notre société ne pourra jamais redevenir apaisée. Et ceci nous renvoie au début de cette interview : l’échec de ma première JEI nous faisant perdre entre 2 et 6 milliards de « création de richesses » Française et Européenne. Mais il paraît qu’on apprend de ses échecs et de ses erreurs : puissions-nous faire de même avec notre souveraineté !