Pour ce mois de décembre, nous avons le plaisir d’interviewer Michael Ferrec, président et co-fondateur d’Inspeere. Cette interview nous permettra de découvrir un nouvel acteur du numérique français qui nous offre une offre originale et souveraine pour vos sauvegardes (Back-up).
[Emmanuel M] : Bonjour Michaël, et merci d’avoir accepté de répondre à ces quelques questions. Pourrais-tu nous dressé ton parcours assez rapidement ?
[Michaël Ferrec] : Bonjour Emmanuel, merci de cette invitation. Je suis entrepreneur depuis 1998 notamment dans des sociétés de services informatiques. Une première expérience longue avec Einden, éditeur d’outils de gestion de photothèques à l’usage des professionnels. J’ai cédé les parts de cette entreprise en 2017. Entre temps avec cette même équipe on a pu mener un autre projet comme e-administration.fr, qui n’a pas été couronné de succès à l’inverse du premier. Donc en 2017, je cède mes parts et fais la connaissance de mon nouvel associé Olivier, qui est un chercheur en informatique depuis plus de 20ans. Et c’est de cette rencontre qu’est né Inspeere, qui nous occupe à plein temps ainsi que quelques autres personnes.
[EM] : Inspeere, c’est quoi exactement ?
[MF] : Inspeere, notre métier c’est la sauvegarde de données. Nous misons sur la dimension mutualiste de cette sauvegarde a contrario des solutions standards qui vont s’appuyer très fortement sur ce que l’on appelle le cloud. Derrière le cloud, il faut entendre data centers, nous notre solution va partir d’appliance, un système de machines qui va embarquer une solution logicielle dans l’entreprise cliente et qui va se mettre en relation les unes avec les autres pour assurer le service de sauvegarde de façon mutualisée. On est sur une logique de peer-to-peer network revisité, avec beaucoup de pilotage et contrôle, qui était manquant dans le peer-to-peer. On y a mis une dimension blockchain, qui permet de facilement faire des smart contracts entre les utilisateurs et qui permet aussi, de mesurer la bande passante et la capacité de stockage chez chacun de ces « peers ».
Cela permet de garantir une qualité de service.
[EM] : Quels sont les éléments forts et différenciants de ton offre ?
[MF] : Il y en a plusieurs. En premier lieu la protection et la sécurisation des données. Une donnée sur notre système, va être automatiquement compressée, avant d’être chiffrée, pour être ensuite fragmentée et ensuite distribuée chez les différents utilisateurs de la solution Inspeere. On se retrouve avec une sauvegarde externalisée mais sous forme de bouillie numérique inexploitable par quiconque. Cela sécurise donc par la même la data et lui donne une dimension extra-confidentielle. Paradoxalement, bien qu’elle soit partout, elle inexploitable. L’image que j’aime utiliser, c’est, imaginez que tu aies écrit la Bible, si tu donnes une lettre de cet ouvrage a autant de personnes, et bien personne ne pourra savoir si tu as écrit la Bible ou les 3 petits cochons… Par la même on a un aspect souverain par construction. Enfin dernier avantage, notre solution se veut plus écoresponsable que l’ensemble des solutions du marché, ceci démontré par une étude du cycle de vie.
[EM] : Ta solution c’est donc le logiciel plus le NAS ?
[MF] : C’est exactement cela. On a conçu un NAS dédié, mais le plus souvent on passe par un serveur ou NAS tier. Le plus souvent on utilise du matériel Dell, pour des raisons de garantie principalement. Notre système est assez agnostique, sur le fait qu’il peut s’appuyer sur à peu près n’importe quel type de machine.
[EM] : Elle pourrait fonctionner avec du Synologie ?
[MF] : Non pas en l’état, car il s’agit d’un système très propriétaire…
[EM] : Peux-tu nous donner quelques chiffres clés d’Inspeere ?
[MF] : Je n’en ai pas beaucoup, nous sommes une start-up. On est actuellement dans la phase de recrutement de partenaires-distributeurs, tout en s’occupant bien entendu de nos clients existants. On est réellement orienté vers la vente indirecte. Aujourd’hui c’est une quinzaine de distributeurs, il nous en reste encore beaucoup à toucher. Et c’est pour plus d’une dizaine de clients désormais. Nous avons réellement commencer à commercialiser notre solution depuis le deuxième trimestre de cette année.
[EM] : Inspeere pourrait-elle être une solution pour les sauvegardes des solutions collaboratives du cloud et de leur client ?
[MF] : Pour ces acteurs, c’est souvent plus facile de déployer des solutions cloud et administrer de façon globale. Néanmoins cela peut être pertinent pour les clients de rapatrier une partie de leurs données et donc d’utiliser notre solution. Cela se fera par des API qui vont bien.
[EM] : Pour les 5 prochaines années, comment vois-tu l’évolution d’Inspeere, des nouveaux projets, services ?
[MF] : Pour nous le challenge c’est d’être un acteur incontournable sur la sauvegarde de données professionnelles. On pense réellement que l’on a quelque chose à apporter compte tenu que notre solution est suffisamment singulière et différenciante de ce qu’il y a sur le marché.
L’objectif c’est de faire partie des 3-4 acteurs de référence sur le domaine tout d’abord en France.
[EM] : 2020 et 2021 ont été des années charnières, la pandémie nous a fait prendre conscience de notre désindustrialisation. Quelle est ta vision ?
[MF] : Très bonne question, que je me pose souvent par ailleurs. On opère dans un milieu ou un tropisme pour ces questions. Et nous sommes donc baignés dans ces questions de souveraineté et plus particulièrement de souveraineté numérique, la question que je me pose, c’est que l’impression que ces thématiques sont de plus en plus présentes dans l’esprit de chacun, est-elle bonne ? Et cela je n’en suis pas certain. Je veux croire cependant que nos concitoyens commencent à s’éveiller à ces questions et acquérir une culture notamment sur les questions de souveraineté numérique.
[EM] : Malgré les affichages du gouvernement sur la souveraineté et la souveraineté numérique, on voit que les décisions ne suivent pas les paroles (Data Hub Santé chez Microsoft, les pge à la BPI chez AWS, les JO-2024 chez Alibaba, Le cloud de « confiance », l’alliance Thales-google, etc…) Qu’elle est ton sentiment ?
[MF] : Tu mets le doigt sur les problèmes que nous évoquons fréquemment au sein du collectif PlayFrance, et qui, il faut le dire révulsent un peu tout le monde au sein de ce cercle d’initiés.
Ces acteurs publics et industriels qui prônent le « Cloud de confiance », il y a encore peu temps promouvaient la souveraineté numérique, comme Bruno Le Maire… Ce qui est un peu irritant, c’est que dans les faits, on voit qu’ils font beaucoup d’acrobaties pour finalement éviter le problème. Et surtout d’apporter des réponses qui interroge beaucoup de gens… L’exemple emblématique est le concept de cloud de confiance. Déjà apposer confiance à cloud, on se demande s’il n’y a pas un problème… Et passer par des solutions américaines en faisant le pari, qu’il n’y a pas de backdoor (ce qui n’est pas sûr), laisse à penser que les choses ne sont pas suffisamment prises au sérieux. Surtout par rapport à l’affichage officiel, on est vraiment là dans la politique et on ne peut que constater le décalage entre cet affichage et les actes, que l’on habille ensuite de nom comme « cloud de confiance »…
[EM] : Que penses-tu des 5 critères évoqués notamment avec Yann Léchelle (Scaleway) qui permettent de définit le cloud de confiance ?
[MF] : Je ne te cache pas avoir découvert cela via LinkedIn, mais en effet sur le fond je suis d’accord que cette définition est la seule qui ose définir les prérequis minimums. Et l’ensemble de ces 5 points me paraissent bien pertinents.
[EM] : L’affaire du Data Hub Santé qui a été emblématique du début 2020 et à vue la naissance du collectif PlayFranceDigital, comment tu te situes et que penses-tu de l’initiative ?
[MF] : L’apport est difficile à évaluer, mais j’ai rejoint ce mouvement après l’appel du 9 avril. Notre approche du numérique au sein d’Inspeere ne pouvait que nous retrouver dans le mouvement. Ce collectif m’a permis de mettre des mots sur quelque chose que je ressentais de façon diffuse. Cela a permis de pointer de multiples problèmes et ce avec des experts du domaine et qui disent tous la même chose. La vertu de ce mouvement, c’est qu’il a toute légitimité pour porter les questions au débat.
[EM] : Pour toi quels sont les enjeux 3 à 5 majeurs de notre souveraineté numérique ?
[MF] : Un enjeu qui relève de notre capacité à mener notre destin national, pas au sens nationaliste ce que je ne suis pas. Mais au sens ma famille, mes amis vivent en France et je veux qu’ils aient un avenir, et un avenir aussi bon possible. Je pense que la question de la souveraineté numérique est importante parce que cela fait partie de ce qui permet au peuple de disposer d’eux-mêmes. Il y a bien entendu une dimension culturelle, car notre approche de la donnée est complètement différente entre les deux côtés de l’atlantique notamment.
[EM] : L’hégémonie mondiale des réseaux sociaux américains est-elle une menace pour notre culture et démocratie ?
[MF] : Oui, bien sûr. Sur la démocratie plus probablement au travers de Facebook et twitter, dû à l’orientation que provoque les algorithmes, qui nous amènent à être dans des sphères… Il est pourtant important de cultiver les doutes et dans ces sphères crées par les réseaux sociaux le risque d’être emporté par des biais cognitif est important. Mais il y a des sujets qui touchent plus directement, à l’économie et on le voit bien. Les acteurs comme Google, Microsoft et Amazon, vont par une sorte de dumping, parce qu’ils sont en position ultradominante, être une barrière à l’entrée pour beaucoup d’acteurs dont les Français, mais pas uniquement. C’est là où nous en sommes, et c’est là où le politique doit s’interroger et comment peut-il remettre l’église au milieu du village. Il se pourrait d’ailleurs que l’action vienne des Etats-Unis, le régulateur en effet commence à se poser beaucoup la question de faire jouer leurs lois anti-trust.
[EM] : Comment s’intègre la responsabilité environnementale dans le numérique ?
[MF] : Vaste de question. Il y a beaucoup de façon de l’aborder, mais je ne saurais trop recommander la lecture du livre « Voyage au bout d’un click » de monsieur Pitron, un journaliste qui a fait une grosse enquête sur l’enfer du numérique. Il illustre très bien que tout ce numérique auquel on associe le virtuel, est en fait très matériel (data center, ordinateur, réseaux, etc…) avec de très grosses infrastructures. D’ailleurs le numérique fait que l’humanité est en phase de créer la plus grosse infrastructure mondiale… Tout cela suppose beaucoup de rejet de CO2, de taper dans des ressources rares… Notre vision actuelle tout cloud, fait que l’on a un seul outil. C’est comme n’avoir qu’un marteau et donc voir l’ensemble des problématiques abordées que comme des clous. Ce n’est d’ailleurs pas du tout la vision que l’on porte à Inspeere. L’autre angle est celui de la sécurité, tout concentrer et centraliser n’est pas forcément la bonne solution pour se protéger.
[EM] : L’arrivée et le développement de la fibre ne permet-elle d’envisager des solutions plus décentralisées, par exemple Inspeere ne pourrait-elle pas être une de ces solutions ?
[MF] : C’était en fait l’idée de départ on était orienté B to C, mais pour des raisons capitalistiques, on s’est plutôt tourné vers le B to B. Chaque personne avec une box internet a en fait un « NAS privé » pour peu qu’il y ait du stockage associé. Des opérateurs pourraient très bien proposer inclus dans le cadre de l’abonnement des utilisateurs proposer notre solution. Cela fait partie de nos sujets.
[EM] : Quelles sont, selon toi les deux ou trois grandes tendances technologiques des 2 à 3 prochaines années ?
[MF] : Les trois tendances que je perçois c’est quoi qu’on en dise grâce à cette crise les acteurs majeurs se sont renforcés. Pendant cette crise on a eu un recourt plus massif et rapide au numérique, et les solutions prêtes à l’emploi et avec un marketing rouleau compresseur, sont celles auxquelles on pense en premier, même si ce n’est pas les meilleurs. Cette tendance hélas va se confirmer et mettre à mal notre souveraineté numérique. A côté de cela on aura des résistances, comme le collectif PlayFrance Digital qui persistera. Et, je vois bien des initiatives comme Gaia-X finiront dans le mur. Car ces initiatives prévues pour défendre notre souveraineté, ont été noyauté par les GAFAM. Cependant, il y a une autre tendance, poussée par les aspects cybersécurité, qui remet en cause le concept du tout cloud, qui présente surtout des avantages pour ceux qui le promeuvent. Et on sent un frémissement dans des salons, notamment.
[EM] : La France et l’Europe qui ont pris du retard sur le cloud, ne risque-t-elles pas de rater cette nouvelle tendance, bien qu’ayant des acteurs pertinents ?
[MF] : Je suis complètement d’accord avec toi, c’est d’ailleurs notre cheval de bataille. Si le gouvernement nous dit que l’on ne peut pas faire mieux que les Américains dans le cloud, adressons les problématiques différemment. Et c’est l’approche que nous proposons à Inspeere. Derrière ces mots marketing cloud, IA dans lesquels on baigne en permanence, il y a un moment où on peut aussi raisonner un petit peu, et froidement analyser que non ce n’est pas la réponse à tout.
[EM] : Nous arrivons à la fin de notre entretien, je te remercie pour cet échange. Quelle serait ta conclusion ?
[MF] : Merci beaucoup, ma conclusion est que nous rentrons dans une période électorale importante à l’échelle de la France. Il faut donc inviter tous ceux qui nous écoute, et même s’ils ne sont pas complètement aux faits des sujets de souveraineté numérique, d’être attentif à la façon dont cela va être traité. C’est un sujet fondamental pour faire société, il faut donc y être vigilant.