L’affaire qui défraie la chronique depuis quelques jours, c’est l’annulation du contrat sur les sous-marins passé en 2016 entre Naval Group, l’état français et les australiens. Notre gouvernement ne décolère pas, outrés de ce coup de poignard dans notre dos porté par nos « alliés » américains, australiens et britanniques…
Quelles leçons et décryptages à en tirer selon mon point de vue de citoyen français ? Ce sont les éléments que je vais essayer de développer ici Les positions prises dans cet article sont personnelles, et sont limitées à ma compréhension des éléments accessibles à ma connaissance, mais elles n’ont pas moins de valeur que nombre de positions prises par des commentateurs présupposés experts, et j’essaierais de les étayer. Le lien peut sembler ténu avec notre souveraineté numérique, cependant les liens existent, notamment quant aux réponses à apporter face à cette crise.
Les faits
Ce contrat naval devant permettre à l’Australie de muscler sa composante navale, avait pour but d’acquérir 12 sous-marins d’attaque non nucléaires. En effet l’Australie, mais aussi la Nouvelle-Zélande sont sourcilleuses (étaient…) sur la non-prolifération nucléaire, allant jusqu’à interdire à tout navire à propulsion nucléaire de faire escale dans leurs ports…
Ce contrat remporté en 2016, par Naval Group, face à la concurrence des Allemands (TKMS) et des Suédois (SK), s’est vu confirmé en 2019 par la pose de la première pierre du chantier naval qui devait assurer la construction des 12 sous-marins (Les Echos).
Cependant, il faut reconnaître que depuis le départ, Naval Group a fait face à de fortes critiques orchestrées par ses anciens concurrents et qui sait, probablement par les Américains, qui ne souffrent pas de concurrence à leur complexe militaro-industriel. Pourtant Naval Group pensait avoir verrouillé l’affaire (La Tribune Fev. 2019), les critiques sur ce contrat n’ont cependant pas cessés, et de nombreux articles s’en sont fait l’écho, avec des « victoires » et des remises en causes, très bien décrites par Michel Cabirol dans La Tribune (24 mars 21, 4 juin 2021 )
Il y avait donc bien des signaux (faibles ?) qui auraient dû alerter nos services de renseignement et notre gouvernement. Surtout, que d’autres claques retentissantes se sont produites, le passage en force de Biden, pour remporter le contrat de renouvellement de la flotte aérienne Suisse, alors que le Rafale était bien placé… Choix du F-35 par les Suisses qui d’un point de vue purement opérationnel est un non-sens. On observe, que le président se réveille, suite à l’affaire australienne et marque un agacement vis-à-vis des Suisses en annulant une rencontre non encore programmée avec leur président…
Le dernier élément important qu’il nous faut prendre en compte c’est la frilosité, si ce n’est la quasi-absence de réponse de nos partenaires européens. Nous sommes factuellement bien seuls.
Les erreurs françaises
Du côté français, il ne faut pas se voiler la face, de nombreuses erreurs ont été commises, et elles sont de plusieurs ordres politiques, géostratégiques, économiques, commerciales et industrielles.
Les erreurs industrielles
Certaines de ces erreurs peuvent paraitre parfois anecdotiques, mais leurs accumulations finit par produire des effets désastreux. L’une des premières que je vois, est de négliger les aspects contractuels et commerciaux et d’être persuadé que la qualité technique réelle ou supposée du produit est elle-même suffisante.
Une autre erreur selon moi est de se mettre dans des partenariats déséquilibrés, pour de mauvaises raisons, souvent la volonté d’un accrochage politique au détriment de notre savoir-faire industriel et nos intérêts nationaux. L’une de ces coopérations, pourtant souvent citée en exemple de succès, est selon moi, la preuve d’une mauvaise gestion de nos intérêts, il s’agit d’Airbus (Challenges 2007), où les Allemands ont pris petit à petit le pouvoir, permettant de développer l’industrie allemande au détriment de l’industrie française, avec la complicité passive de nos élites dirigeantes (Les Echos 2008). Nous avons voulu arrimer les Allemands à l’aventure Airbus pour des raisons politiques et financières, mais aveuglés par le mythe du couple Franco-Allemand, nous perdons petit à petit le leadership sur ce fleuron industriel initialement porté par la France et son savoir-faire aéronautique.
On peut se poser la légitime question, de la pertinence des coopérations Franco-Allemandes comme pour le projet SCAF, où nous courrons le risque de perdre le leadership incontesté en Europe dans l’aviation que représente Dassault. Ne parlons pas non plus du projet dans les blindés où petit à petit l’Allemagne récupère la grande part du gâteau comme pour le SCAF. Les Allemands n’ont aucun scrupule à privilégier leur industrie, et je ne les condamne pas pour cela, par contre je porte un jugement sévère sur nos dirigeants qui ne pensent plus à nos intérêts industriels, alors que le secteur de la défense restait encore l’un des secteurs performants et pourvoyeurs d’emplois qualifiés à haute valeur ajoutée… Reconnaissons cependant qu’il y eu des collaborations ponctuelles qui ont été étonnamment couronnées de succès, avec nos partenaires anglais, comme le Jaguar…
Les erreurs commerciales
L’affaire du contrat des Rafales au Maroc a été symptomatique sur ce point où la DGA et Dassault approchèrent les Marocains avec deux offres chiffrées différentes (L’Express). Il s’agit soit d’une incompétence crasse, où d’une maladresse provoquée ?
Il est aussi nécessaire probablement de revoir les marchés sur lesquels nous devons nous positionner, est-il pertinent de perdre de l’énergie sur des marchés acquis à la domination anglo-saxonne (les pays qui feront passer leurs intérêts culturels et stratégiques avant toute autre considération), ou conquérir des marchés financièrement hasardeux et quasi non-solvables…
Il serait aussi salutaire de cesser d’être naïfs et ne pas hésiter à utiliser les mêmes coups tordus que la concurrence nous a infligés, qu’elle soit américaine ou intra-européenne, comme l’a démontré le jeu trouble des industriels allemands et suédois dans l’affaire australienne.
Les erreurs économiques
La principale erreur, induite par l’adhésion aveugle au mondialisme et à l’ultralibéralisme, a été d’orienter l’économie française vers une économie de service et d’avoir abandonné l’industrie sale et polluante, pour la délocaliser en prétextant, que la valeur ajoutée et la matière grise resterait en occident et en France… 40 ans après, la pandémie que nous venons de traverser met en exergue le mensonge véhiculé par nos classes dirigeantes que la plus grande part de la population française avait bien captée…
En effet, la capacité d’innovation et de croissance repose sur le terreau fertile d’un tissu industriel fort, nourrissant aussi la croissance des services, mais l’inverse n’est pas vrai.
Les erreurs politiques
Notre classe politique, est coupable d’avoir lentement déconstruit ou laissé déconstruire tout l’outil industriel, notamment militaire, qu’avait bâti le Général De Gaulle. Le mépris de nos classes dirigeantes pour la chose industrielle, considérée comme sale (pas écologique) et à faible valeur ajoutée (pas suffisamment « intellectuel »), et l’assujettissement à la théorie mondialiste et libre échangiste, nous a fait perdre, je dirais même brader nombre de nos fleurons industriels. Bien entendu, la règle de concurrence acharnée et obligatoire imposée par l’Europe n’a fait qu’accélérer cette tendance. Il y a eu donc abandon d’une vraie politique industrielle.
Vient ensuite l’activité favorite de nos élites intellectuelles, économiques, politiques ou journalistiques, le French Bashing, en français dans le texte… Ce qui est français n’est jamais bien, ce qui est américain ou allemand est le nec plus ultra. Ceci pour les produits techniques, mais aussi les modes managériales, les théories économiques, etc… Tout cela ne concourt pas à entretenir une fierté de son pays et la volonté de le voir rayonner. La seule chose qui compte, maximiser le profit, imiter le modèle start-up de levées de fond, ce qui fait que certains créateurs de start-up sont plus obnubilés par le montage du dossier pour les levées de fond que de s’assurer de la qualité de leur produit et de l’existence d’un marché réel. Mais ce n’est pas grave, qu’il y ait 90% des start-up qui ne survivent pas à 5ans c’est « normal » (L’ADN).
On peut aussi s’interroger sur nos services gouvernementaux et nos services de renseignement qui n’ont pas pris la mesure que représentait l’arrivée au pouvoir d’un conservateur, à la tête du gouvernement australien. Nouveau premier ministre qui n’a eu de cesse de dénoncer les actions sur ce contrat de son prédécesseur… Cela aurait dû nous alerter, en tous les cas plus que cela n’a eu l’air de le faire.
Les erreurs géostratégiques
La première erreur, et je ne suis pas sûr que nous y renoncions même après l’affront reçu, est le fait d’être un partenaire privilégié de l’Amérique, un euphémisme pour qualifier notre position de suiveur. Depuis 2007, pour faire simple, nous avons été les supplétifs obéissants des forces américaines, sans en tirer aucun bénéfice, comme le montre les affaires Syriennes et Afghanes.
La deuxième consubstantielle de cette première, est de penser que nous pourrions avoir une place dans l’alliance anglo-saxonne, le refus opposé à Hollande d’accepter la France dans l’alliance Five-Eyes, en était la preuve pour ceux qui ne l’auraient pas déjà intégré (Foreign Policy 2013)
Une autre erreur dramatique, a été la réintégration de la France au commandement intégré de l’Otan, initié par Chirac réalisé par le plus américains de nos présidents, Sarkozy… Et depuis ce temps là nous avons été principalement les supplétifs de l’Amérique dans ses guerres « pour le bien ».
Une autre erreur, c’est de ne pas avoir voulu voir le déplacement du jeu géostratégique et du rayonnement culturel et économique, qui centré sur l’Europe pendant des siècles, s’est déplacé vers les Etats-Unis au 20me siècle, pour maintenant s’orienter vers l’Asie et la zone indopacifique. Pire, notre propension à nous battre la coulpe et à oublier notre grandeur, voire, à vouloir la détruire nous a fait délaisser nos territoires ultramarins, qui sont eux aussi la France et qui devraient jouer un rôle géopolitique et économique crucial si seulement on s’en donnait les moyens et si on impliquait les populations qui y vivent.
Il y a probablement d’autres erreurs qui m’ont échappées, mais celles-ci me semblent symptomatiques.
Les zones d’ombres
Dans cette affaire, il reste cependant des zones d’ombres dont il y a peu de chances qu’elles soient levées. Nous l’avons vu, dans le rappel des faits, la mise en place de ce contrat n’a pas été, et de loin, un long fleuve tranquille. Nous avons dû subir bien des attaques en dessous de la ceinture de la part de nos alliés européens, nos concurrents malheureux dans cette histoire (campagne de dénigrement de Naval Group auprès de l’opinion australienne).
La question qui taraude beaucoup d’observateurs, est comment se fait-il que nos services de renseignements aient-ils pu ne pas détecter au moins des signaux faibles ? Cette question lancinante me hante également, mais nos services, n’en déplaise aux médisants, sont aguerris et plutôt efficaces. De mon point de vue s’offrent deux hypothèses qui sont toutes les deux déplaisantes à envisager.
La première, la plus crédible compte tenu des informations à notre disposition, est que nos services ont été « enfumés », par une opération de désinformation des américains et anglais. Et ce genre d’échec est envisageable, sans remettre en cause les qualités intrinsèques de nos services de renseignements. En effet, nous sommes tellement dépendants de notre interconnexion avec les services de renseignements américains, y compris en termes technologiques, que cette hypothèse est crédible, mais elle interroge clairement sur la nature de nos relations avec nos alliés anglo-saxons, et le futur que l’on doit donner à ces relations.
La deuxième, encore moins plaisante, c’est que nos services aient eu l’information et l’ait transmise au plus haut de niveau de l’état qui n’a pas souhaité agir, ce qui interroge sur les motivations.
Quelles suites ?
Que faire, cette question nous taraude probablement une grande partie de français, même s’ils s’intéressent peu à ces sujets. Il n’est jamais plaisant à un peuple à l’histoire millénaires riche de rayonnement culturel, scientifique, culturel et militaire de recevoir en pleine figure la preuve de son déclassement.
Quelles options géopolitiques ?
Il faut reconnaître que notre président a été visionnaire, il y a quelques mois, lorsqu’il a parlé de la mort cérébrale de l’Otan. Faut-il profiter de cette crise pour en sortir ? Mon côté Gaullien, souhaiterait voir une sortie de ce type porté par un discours avec le panache de celui de 2003 aux Nations-Unies lorsque De Villepin, notre premier ministre annonça notre refus de suivre les Américains dans leur aventure irakienne… Malgré, les inconvénients non négligeables, y compris en Europe que pourrait avoir cette décision, je reste en sa faveur. Il est indispensable d’envoyer un signal fort !
Dans les autres actions, qui selon moi sont nécessaires à mettre en œuvre, c’est de ré-évaluer l’ensemble de nos partenariats stratégiques sur les différents théâtres géopolitiques. Il faut quitter les oripeaux fripés de nos positions moralistes, principalement imposées par la diplomatie américaine très messianiques voulant diviser le monde en deux, le bien et le mal… Il nous faut donc à la seule aune de nos intérêts nationaux revoir nos rapports avec Moscou, un rapprochement sur la base d’intérêts communs bien compris pourraient être pertinent pour le côté continent européen.
Nous pourrions aussi sur la zone Indopacifique, renforcer notre alliance et nos partenariats avec l’Inde et profiter du trouble causé par les agissements des Américains ces derniers temps dans la région…
Nous pourrions également, nouer des partenariats industriels et de coopération militaire avec des pays d’Amérique du Sud qui ne sont déçus par leurs voisins Nord-Américains…
Quelles réponses industrielles et économiques ?
Dans ces domaines là aussi il va falloir construire une réponse. En effet, ce qui vient de se produire doit être un électrochoc qui fait prendre conscience à l’ensemble des acteurs économiques de leur responsabilité envers la Nation qui leur a permis de naître et prospérer, malgré tous ses défauts et lourdeurs connus, mais qui ne sont pas le sujet d’aujourd’hui.
Il faut prendre des mesures d’abord d’ordre symbolique pour clamer notre mécontentement, et la proposition d’Arnaud Montebourg de mettre fin aux contrats des administrations avec les banques privées et des cabinets de conseil américains (Europe 1) est tout à fait pertinente. En plus de marquer notre mécontentement, cela aurait un effet sanitaire en termes de sécurité nationale.
Il y a ensuite des mesures structurantes à prendre dans de nombreux domaines, notamment un qui me tient à cœur, celui du numérique. Nous savons qu’il s’agit de la révolution industrielle du XXI siècle, et que ce secteur est clé pour la croissance de demain, que cela sera aussi un atout majeur pour accompagner la transition écologique et que surtout il sera le pourvoyeur des emplois d’aujourd’hui et de demain. Il faut donc d’ores et déjà prendre des mesures qui auraient déjà dû être prises. Il faut notamment migrer l’hébergement du Health Data Hub actuellement sur Azure de Microsoft sur un hébergeur souverain, nous en avons plusieurs en France, comme OVH, Scaleway, Outscale ou encore Thésée Data Center (Effisyn SDS –Mai 2020).
Il semble déjà qu’il y ait un début de prise de conscience, en effet la direction interministérielle du numérique a le 15 septembre annoncée qu’Office365 de #Microsoft n’était plus conforme à la doctrine cloud de l’état français, est-ce lié à la crise (Solutions Numériques.com) ?
La présidentielle qui vient sera aussi le moment de questionner la façon dont on se positionne sur les enjeux majeurs de la souveraineté numérique, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’aborder (Effisyn sds – Sept 21)
Mais il y a deux autres domaines industriels clés sur lesquels il va falloir aussi réviser selon moi notre positionnement. En effet peut-on continuer de vouloir baser notre politique de défense et d’armement sur l’espoir benêt d’une défense européenne, qui ne peut voir le jour tant nos intérêts sont divergents, y compris avec les Allemands ? Doit-on continuer de vouloir à tout prix des programmes de coopérations notamment Franco-Allemand, qui n’aboutirons qu’à la poursuivre l’affaiblissement de notre outil industriel de défense ?
Le deuxième secteur est le nucléaire dans lequel il nous faut réinvestir massivement. Il s’agit d’un avantage clé dans le développement de notre économie de demain, pour accompagner les mobilités décarbonées mais également notre développement numérique et réduire ainsi son empreinte carbone. Surtout qu’il existe des recherches prometteuses qui permettraient de recycler les déchets nucléaires (en partie) en pile (Papergeek)
Bien entendu, ces pistes tracées sont loin d’être exhaustives et des personnes plus spécialisées sur le domaine pourraient en proposer bien d’autres.
Conclusion
Cette crise doit être salutaire, et nous faire prendre conscience du danger que représente notre dépendance aux Etats-Unis. La France a eu un passé glorieux et un rayonnement important, elle a encore un message à transmettre. Nous ne devons pas abdiquer. La reconquête de notre autonomie géostratégique, culturelle et industrielle n’en est qu’aux balbutiements. Il est crucial que l’ensemble des candidats à la présidentielle, aient un tronc commun sur ces aspects de souverainetés, afin d’avoir une ligne directrice claire sur le demi-siècle à venir.
Par ailleurs une fierté nationale retrouvée, teintée d’humilité, permettrait aussi d’apaiser un certain nombre de tensions intérieures.
Je veux croire que nous trouverons le chemin d’un renouveau salutaire, pour la France, mais pas seulement.
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